En blanc et noir, droit de réponse
Pourquoi ?
Vous trouverez ci-dessous un commentaire, laissé par un visiteur dans le Livre d'Or, suivi de ma réponse.
Texte initial :
Du noir et blanc naïf, qui manque de corps. Une vision, voir [ndlr : sans e] un regard aiguisé qui dégageait une émotion à la prise de vue mais la réalisation manque de punch pour faire vibrer le lecteur qui n’a pas partagé le regard de l’auteur – Un sentiment d’inachevé ! Certainement avec quelques années de plus il sera possible d’être avec une lecture d’image moins frustrante avec un souci d’éclat de la lumière photographique. La délicatesse de celle-ci ne peut souffrir d’approximations globales. Appuyer sur le déclencheur est une chose… avoir une démarche photographique en [ndlr : ou ?] capacité de capter l’attention est un travail subtil qui se forge avec le temps. Vous êtes au début – courage –
[ndlr : signature a priori] Jean-Claude (juge international)
Ma réponse :
Malheureusement, je ne vous ai pas rencontré ! Déjà, je vous aurais dit que laisser un message comme celui-ci, non signé, dans un Livre d’Or, pardon d’[halogénure d’]Argent, ne fait pas partie des bonnes manières. Il me semble préférable de s’adresser oralement au concerné ou… de s’abstenir de déposer une telle « pépite » dans un livre plutôt habituellement consacré au soutien de l’exposant. Nous n’avons sans doute pas les mêmes principes.
Revenons-en au contenu de votre texte que je vais parcourir, comme je parcours la campagne, c'est-à-dire plutôt à l’instinct. Que vous n’aimiez pas ce que je fais se conçoit parfaitement. Mais, il n’y a pas que les principes qui nous séparent.
Votre statut de juge international ne vous empêche pas de souffrir d’un grave défaut de vision.
Il apparaît quand vous écrivez : « La réalisation manque de punch ». Sans doute voulez-vous dire le tirage ? Alors, je vous conseille de les regarder à nouveau, car mes tirages sont très honorablement contrastés. Mais leur tonicité peut paraître moindre au profane, non au juge international, car bon nombre de mes sujets sont doux, naturellement dans l’ombre, et sans excès. Vous confondez visiblement le contraste inhérent à la scène photographiée et le tonus de l’image résultante. Des personnes avisées ont été surprises des micro-contrastes que l’on constate dans mes tirages : j’ai même cru comprendre que certains les trouvaient excessifs. Naturellement, ce n’est pas du Giacomelli, que j’apprécie grandement par ailleurs, mais nous ne voulons pas obtenir la même chose.
« Noir et blanc naïf ». Bien malgré vous, quel compliment ! Quelque chose qui se perd et qui est fondamental : la naïveté, ce névé de l’enfance qui fond bien souvent lorsque l’on devient adulte.
« … un regard aiguisé [qui dégageait une émotion à la prise de vue] … ». Ah, un autre compliment, mais délibéré celui-ci : « regard aiguisé » !» Alors sachez que ce regard a transmis à ma main l’ordre d’appuyer sur le déclencheur et malheureusement pour vous, le résultat final est, la plupart du temps, e x a c t e m e n t celui souhaité par le « regard aiguisé ».
« La délicatesse de celle-ci [la lumière photographique] ne peut souffrir d’approximations globales. » Que voulez-vous dire par là ? Qu’est-ce que la lumière photographique ? Il n’y a pas de lumière photographique type, il existe de multiples lumières qui peuvent constituer des conditions favorables à la prise d’une photographie, ceci en relation avec le sujet. Et qu’est ce qu’une approximation globale (expression déjà floue) lorsqu’elle s’applique à quelque chose qui n’existe pas ?
« Un sentiment d’inachevé ». Là encore, vous n’avez pas regardé attentivement. Que vous n’aimiez pas mon achèvement, c’est possible. Mais regardez bien les dates des prises de vues étalées sur plus de trente ans. Croyez-vous vraiment que l’on puisse parler d’inachèvement quand obstinément, années après années, je persiste toujours dans le même esprit, avec la même exigence ?
« …avoir une démarche photographique ou capacité de capter l’attention est un travail subtil » : mon travail à la prise de vue est sans doute, à certains moments, subtil (cf. regard aiguisé). Je ne me préoccupe pas vraiment des termes que l’on pourrait appliquer à mon travail. Mais subtil, le résultat l’est assurément. Malheureusement vous n’êtes pas armé pour vous en apercevoir. Pardon pour l’immodestie, mais je considère que mes tirages sont tirés comme ils doivent l’être. Toujours sur ce chapitre, je ne suis pas sûr que l’on ait la même définition du mot subtil : peut-être faites-vous partie de ces gens chez qui la préciosité et l’affèterie évincent la subtilité, et font conséquemment passer cette dernière pour une élégance fade et surannée.
« Vous êtes au début – courage – » : non, je ne suis pas au début, je suis au milieu (même un peu dépassé) du gué et vraiment votre survol de l’exposition est indigne d’un juge international. En effet, de nombreux documents le montraient. Mais peut-être voulez-vous simplement me faire comprendre que le résultat est piteux pour trente cinq ans de photographie.
Vous savez, lorsque j’ai transmis votre mot à un ami très cher, il m’a demandé, avec beaucoup de tact si ces mots assassins risquaient de changer quelque chose à ce que je fais, au regard que je porte à mes photographies. Je lui ai répondu : « je trouve dans mes photographies, et c’est alors comme si j’en étais dépossédé, ce que j’aimerais trouver dans les photographies des autres. » Et il a été rassuré.
Pour finir, je peux vous conseiller la lecture d’un texte très intéressant (!) sur ce site : mes notes personnelles. Il vous expliquera comment je construis, j’élabore l’inachevé, le naïf. Et ma dernière phrase sera de vous conseiller la consultation d’un ophtalmologue, l’approfondissement de votre connaissance de la langue française, ainsi qu’une nécessaire évolution de votre regard vous permettant de vous extraire des idées et pensées actuelles. La route est longue, je vous espère jeune – courage –.
© Philippe Le Bihan - 2018